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Targowla, Olivier

Distances

En France, une femme peu à peu perd sa vie sur un lit d'hôpital. Elle revit ou rêve à nouveau certaines scènes de son enfance et de sa maturité. Laurent Walkenaër, un pianiste qui connaît un début de notoriété aux Etats-Unis, se heurte à des problèmes de tempo dans des interprétations d'oeuvres classiques. La femme est la mère du pianiste. Ils ont peu de contacts. 144 p. (1996)

Olivier Targowla a été journaliste. Ses nouvelles ont paru, entre autres, dans les revues Sarrazine et Ecritures. Il est animateur d'ateliers d'écriture.

Extrait

Chapitre 1

Après le repas de midi, elle a ressenti comme un étourdissement. « Il faut que je m’allonge. » Edith Walkenaër a gagné sa chambre sans faire la vaisselle. Elle s’est étendue avec difficulté sur son lit. Elle soupire. Le chagrin monte. Elle est abandonnée. Elle dit « papa » à voix haute. Elle s’entend, se trouve ridicule.

La douleur se précise, maintenant, dans la tête. Une nausée l’envahit. Des pensées vagues lui viennent. Puis des mots. Fatigue, tristesse, maladie, mort. « Soixante ans n’est pas un âge pour mourir. » Elle soupire à nouveau. La maladie l’a reprise. Il faudra retourner à l’hôpital.

Edith Walkenaër hausse les épaules et ce mouvement lui fait mal. Elle porte une main à sa clavicule droite.

Elle pleure maintenant sans s’en rendre compte.

Le téléphone sonne mais elle ne croit pas qu’il sonne chez elle. Elle le regarde, ce gros objet blanc et inutile. D’ailleurs ce n’est pas elle qu’on appelle.

La sonnerie cesse. « Je l’avais bien dit ! » Puis reprend. Cela fait rire Edith. Elle essuie un peu de bave aux coins de sa bouche. Elle regarde le téléphone puis ferme les yeux. Des souvenirs, des images défilent.

Edith a vingt ans. Elle est avec Charles dans cette crêperie de la rue Provende. Les autres étudiants ne sont pas encore arrivés. Ils sont seuls, face à face, près de la fenêtre. Ils sont au premier étage et Charles regarde fréquemment dans la rue. Elle est contente d’être seule avec lui. Gênée aussi. Elle regarde la table, le plafond. Puis elle sent une main nerveuse et sèche sur la sienne. Son cœur saute. Charles parle d’une voix saccadée. Elle laisse sa main. Elle regarde celle de Charles sur la sienne. Elle n’entend pas ce qu’il dit, juste un bourdonnement. Elle lève les yeux vers lui et imagine les mains de Charles sur son corps. Elle rougit, sans doute. Il prend sa main et la porte à ses lèvres. Elle attend un instant et la retire.

Les étudiants de leur année de médecine arrivent bruyamment. Ils s’installent à côté d’eux et, après les plaisanteries d’usage, on ne parle plus que du concours proche. Edith est la plus jeune. Elle fait mine d’écouter, évite le regard de Charles et réprime son envie de sourire aux anges.

Il y a du bruit autour d’elle. On la secoue. Elle ouvre les yeux. Weber est là. Il lui parle. Elle n’a pas envie d’entendre et referme les yeux. Elle ne perçoit qu’une bouillie de phrases. Parfois elle retient quelques mots : « ...venir dans mon service... chambre individuelle... examens... rapides... ambulance. »

Edith a toujours aimé la voix de Weber. Aujourd’hui encore cela lui fait du bien. Elle hoche la tête, les yeux fermés pour faire comprendre qu’elle est d’accord. Qu’on s’occupe d’elle, ça la changera un peu. Elle en a assez fait dans sa vie. Elle en a assez fait pour les autres. C’est bien leur tour à présent. Elle est décidée à se laisser faire. Weber est chef de service à l’hôpital. Il saura la guérir. La douleur dans la tête revient. Elle veut porter sa main à l’endroit où elle souffre. Mais sa main ne fait pas le chemin. Elle soupire. Les larmes ne sont pas loin.

Elle s’est réveillée à un moment. Il y avait du soleil. Elle n’était pas chez elle. L’hôpital. Elle ne sentait aucune douleur. Elle s’est rendormie.

Une odeur épouvantable. Edith ne supporte pas. Elle appelle. On n’entend pas sa voix. On ne va pas la laisser dans cet état. La sonnette. Trouver la sonnette. Elle essaye de bouger dans le lit mais elle ne peut pas. Elle est engourdie. Il faut qu’on la délivre. Elle ne supportera pas cette odeur. Elle n’y survivra pas.

Plus tard, elle se réveille. L’odeur est encore là. Une sensation sous son corps. Elle cherche la sonnette et finit par la voir, au-dessus du lit. Inatteignable. Elle n’en peut plus. « C’est dégueulasse. Les salauds. Ils me laissent seule. » Plus tard encore, elle a ouvert les yeux et l’odeur avait disparu. Il y avait même comme de la lavande dans l’air. Edith sourit. « Ils sont quand même venus. »

Elle rêve ou elle se souvient.

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