Panier: 0

Pastoureau, André

Ma vie surréaliste - André Breton, les femmes et l'amour

Henri Pastoureau a fait partie du groupe surréaliste de 1932 à 1951. Il a été l'ami d'Aragon, Breton,  Eluard, Péret, Dali et leurs compagnes. Il a participé à toutes les manifestations du groupe, publié recueils poétiques et oeuvres critiques. Sa connaissance intime du Surréalisme, des prises de position artistiques et politiquess du mouvement, l'a enrichi de souvenirs qu'il raconte dans cet ouvrage. Dans la partie "André Breton, les femmes et l'amour", Henri Pastoureau se livre à quelques révélations. 466 p. (1992)

Extrait

André Breton

L'homme que j'ai connu

En juillet 1930, je sors de la classe de philosophie du lycée d'Alençon dont le professeur était Olivier Pozzo di Borgo. Avec l'accord de mon père, chef d'entreprise, exploitant les carrières de granit de Condé-sur-Sarthe, issu d'une lignée d'ouvriers tailleurs de pierre, je décide de partir à l'automne pour Paris afin d'y préparer une licence de philosophie.

À la Sorbonne, je milite dès 1931 à l'Union Fédérale des Étudiants (U.F.E.), organisation contrôlée par le parti communiste, alors S.F.I.C. Je suis bientôt chargé des rapports avec les étudiants indochinois qui n'étaient pas tous communistes mais étaient tous nationalistes. Le P.C. avait étendu sa lutte anticoloniale en prenant le contrôle d'une « organisation de masse », la Ligue anti-impérialiste qui ne comprenait pas que des communistes ou sympathisants. C'est au sein de cette ligue que je rencontre quelques surréalistes : Aragon dont je deviens très vite l'ami, Sadoul, Thirion, Unik. Aragon avait alors trente-quatre ans et moi dix-neuf. Il m'appelait « mon petit » sans qu'il y ait dans cette affectueuse expression rien d'équivoque. J'ai sous les yeux ma carte des Jeunesses Communistes. Elle porte comme date d'adhésion « octobre 1931 ». Je fus affecté à la cellule d'entreprise Bréguet qui faisait partie du 6e rayon.

Les cellules locales et d'entreprise de ce rayon se réunissaient dans un vieil immeuble, 111, rue du Châ­teau dans le quartier de Plaisance, XIVe arrondissement. C'était déjà un lieu de réunion du parti socialiste avant la scission de Tours de 1920. Non loin, au 54, rue du Château, Marcel Duhamel, traducteur d'innombrables romans de la « série noire », avait fondé en 1924 un phalanstère qui devint bientôt un haut lieu du Surréa­lisme. Y habitèrent simultanément ou successivement Aragon, Elsa, Sadoul, Thirion, déjà nommés mais aussi Jacques Prévert, Yves Tanguy et d'autres. En 1931, Ara­gon habitait avec Elsa un petit appartement, 5, rue Campagne-Première. Leur cellule était celle de Plaisance du 6e rayon. À la tête de ce rayon, il y avait Jean-Pierre Timbaud qui aura été secrétaire de la Fédération des Métaux avant d'être arrêté par Daladier en 1939, remis comme otage par Vichy à l'occupant et fusillé, ce qui lui vaut d'avoir aujourd'hui une rue portant son nom dans le XIe arrondissement. Quand je l'ai connu, il était « doublé » c'est-à-dire surveillé par Lénard, concierge du 111. Il en était alors ainsi dans le Parti, des pieds à la tête, surtout à la tête. Thorez était contrôlé par le repré­sentant occulte en France de l'Internationale Commu­niste, le Tchèque Eugen Fried, alias Clément, alias…

Quand je suis entré au 6e rayon, il y était beaucoup question de « la camarade Breton » qu'on était en train d'exclure pour trotskisme. Je ne savais pas alors qu'il s'agissait de Simone Kahn qui venait de divorcer d'avec André Breton, évincée par Suzanne Muzard, l'épouse infidèle – oh combien ! – de l'écrivain Emmanuel Berl. Je ferai bientôt la connaissance de Simone. Elle se rema­riera avec le sociologue Michel Collinet, ami personnel de Léon Trotsky mais non trotskiste organisé. Après la guerre, elle tiendra une petite galerie de tableaux place de Furstenberg à Saint-Germain-des-Prés. La dernière fois que je la rencontrerai, ce sera au cimetière des Batignolles. On y enterrait Breton qui venait de mourir le 28 septembre 1966. Breton avait rencontré Simone en juin 1920 au jardin du Luxembourg. Elle était ori­ginaire d'Alsace d'où sont venus d'autres surréalistes ou leur compagne, tous de la même génération et connais­sant Simone depuis Strasbourg : Maxime Alexandre, auteur, après d'autres livres de Mémoires d'un surréaliste (la Jeune Parque, 1968), Denise, cousine de Simone, épouse en secondes noces de Pierre Naville, Marcel Noll.

Dans le courant de l'année 1934, ma présence aux réunions de cellules va se raréfier. Cette année-là, j'ob­tiens le diplôme d'études supérieures, grade intermé­diaire entre la licence et l'agrégation, après avoir sou­tenu un mémoire sur la Théorie de l'État chez Hegel, texte malheureusement perdu. Après des vacances à Alençon où je n'ai jamais pris contact avec les commu­nistes locaux, je pars pour le service militaire à Dijon. Là non plus, je ne rencontre pas les communistes. Mon service d'un an est sans histoire. On m'a seulement barré la route conduisant à tout grade. À mon retour, je ne retourne pas chez les communistes parisiens, ni dans les organisations annexes du parti. Le Surréalisme s'est d'ailleurs engagé dans une autre aventure : celle de « Contre-Attaque » avec Georges Bataille. De 1935 à 1950, mes opinions politiques suivront les variations de celles des surréalistes orthodoxes, c'est-à-dire celles de Breton.

Retour

€ 26.00