Panier: 0

Cheimonas, Georges

L'ennemi du poète suivi de Mes voyages

Trois récits fantastiques, Le Syndrome de Balint, Énée, Le Bijou, et L'ennemi du poète. Les dernières oeuvres de Georges Cheimonas sont imprégnées du thème du voyage, de l'exil.  Mais un grec échappe-t-il à son pays ? Si Cheimonas s'inspire d'une vieille ballade celtique, n'est-ce pas une quête de racines toujours plus profondes ? Ici fuite et retour se conjuguent : ce que rencontre le narrateur, ce sont des figures familiales (la mère, le père, le fils, la soeur) ; c'est l'origine et en même temps la fin. C'est aussi le mystérieux ennemi qui le poursuit - comme il poursuit tout poète - et dont on découvre enfin que  sa poésie et sa propre vie dépendent de sa lutte avec lui".  Ceux qui ont aimé Les Bâtisseurs ne seront guère dépaysés. Ils retrouveront ici les mêmes obsessions, la même force visionnaire, la même parole brisée, fulgurante. Traduit du grec par Michel Volkovitch. 96 p. (septembre 1991)

Georges Cheimonas, traducteur de grec ancien (Euripide) et de Shakespeare, psychiatre, est né en 1938 en Grèce du Nord. Il est mort à Paris en 2000.

Extrait

Tourné sans cesse vers la nuit obscure. Soudain ma mère m’a appelé. Je devais voyager de nuit. Effrayé je partis dans la nuit pour un grand voyage en souffrant. Excité de rencontrer ma mère. Je ne l’avais pas vue depuis mon enfance. Avec dégoût indifférent aux malheurs qui l’avaient ravagée tant d’années. Elle m’informait par des entremetteurs gluants. Les derniers temps une colère me tenait dans une terrible exaltation. L’âme de l’homme découvre à la fin ce qu’elle est ce qu’elle était dès le début une colère de naissance. La colère avait provoqué cette insoutenable tension dans l’âme. M’avait condamné une fois pour toutes à l’insomnie. Le sommeil n’existe plus pour moi. Pendant l’insomnie de la nuit on arrive à l’ultime frontière du temps. La fin du temps n’existe que la nuit. C’est alors qu’on la touche et on est pris de chagrin et d’une fureur. La tension de mon âme était soulagée brièvement grâce au triste travail d’un instinct de vengeance brouillon. Vengeance d’amateur. Cette colère et cet instinct vengeur sont des passions totales et sans cause. Nul événement précis de ma vie jamais ne les justifierait jamais. Car la forme donnée à ma vie par une faveur obscure est parmi les plus heureuses et les mieux loties. Je ne manquais pas de me venger. Sans mobile ni aucune émotion. La colère inspire une méfiance étudiée et nous fait accueillir presque avec euphorie accueillir la moindre provocation. La provocation de ma mère était la plus infime sans doute. Il n’y avait pas d’amour ou d’antipathie pour nous unir. Le sentiment profond de l’extrême injustice de ma vie m’avait rendu juste. Je savais ne pouvoir accuser personne. Rien dans le monde entier n’est responsable de ce que je suis. De nuit j’ai voyagé mon corps qui veillait. Butait contre le temps et j’avais mal. Car j’ai la lente l’immobile. Et l’insulaire apathie du soleil. Comme le soleil rien ne m’éclaire. Comme le soleil je monte loin et m’en vais loin quand il s’en va. J’arrivai le matin à onze heures. M’accueillirent dans la rue les cris de joie perçants de la vieille sœur de ma mère. Ma bonne tante qui vivait avec ma mère et s’occupait d’elle. Mère et fille adoptive elle était de vingt ans plus âgée étant née d’un premier mariage. Elle s’appelait Riko car son père avait eu de sa mère un enfant avant elle. Il s’appelait Erikos. Il était mort. La mère de ma mère la deuxième épouse est morte quelques jours après son seul accouchement. Morte à dix-huit ans cinq jours après avoir accouché de ma mère. Elle est morte à cause de ses yeux. Jamais je n’ai entendu parler d’une maladie des yeux mortelle. Il y avait dans la famille une maladie des yeux inconnue. La douce Riko était devenue aveugle à trente ans. Elle regardait toujours du même côté. Le plus possible en coin sans voir. 

Retour

€ 13.00