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Aaron, Soazig

Le Non de Klara

En librairie depuis le 22 septembre 2022. Collection Poche Maurice Nadeau, 208 pages, 9,90 €

Ce récit se présente sous la forme d’un journal, celui d’Angelika, l’amie et belle-sœur de Klara qui revient d’Auschwitz à Paris en 1945. Le journal s’organise autour de la parole de Klara qui, jour après jour, pendant un mois, dévoile ce qu’elle a vécu. Pas de lamentations, mais elle dit froidement, avec force et violence, sa stupeur et sa colère permanente, son incapacité à accepter les codes de la vie redevenue normale. 

Le Non de Klara a reçu la Prix Goncourt du premier roman en 2002, le Prix Emmanuel Roblès de la ville de Blois et, en 2004, le Grand Prix des Libraires.  Publié en allemand (Klara nein), Le Non de Klara a reçu le Geshwister-Scholl-Preis en 2004. Soazig Aaron a publié un second roman, La Sentinelle tranquille sous la lune en 2010 (Gallimard). ISBN 978-2-86231-441-9

Extrait

On est déjà sur le boulevard, elle marche bravement à mes côtés, il y a peu de monde sur le trottoir, ses chaussures font plach sur le macadam mou. Elle s’arrête pile : « Non che ne feux pas. » C’est juste à ce moment précis que je réentends l’accent de Klara – elle ne l’a jamais perdu ni en français ni en anglais – et aussi son élocution lente dont je ne me souviens pas. Pour temporiser, et parce que je crois à une difficulté de langue, je dis : « Tu veux qu’on parle allemand ? ». Elle dit : « Non, ça non plus, plus jamais, et che ne feux pas foir l’enfant ». Elle redépose son petit bagage rouge et le chien. Elle ne bouge plus et agite sa tête d’oiseau énergiquement, et c’est : « Non, non, non, che ne feux pas foir cette enfant. »

 

Samedi, j’ai eu une longue conversation avec Agathe. Elle a été bouleversée. Dans un premier temps, elle a presque crié de colère : « Alors nous, on lui a gardé son trésor, on a pris des risques, surtout vous deux, mais moi, mes parents, les parents d’Alban, on était tous prêts à le faire, à vous relayer si besoin et elle, comme ça, elle dit, non je ne veux pas de votre trésor ! C’est fou, elle est folle ! » Après, elle s’est calmée. Agathe est l’honnêteté même, elle a dit : « Oui, mais on aime aussi le trésor et on a aimé prendre des risques, on ne va pas se plaindre, je suis idiote. » Finalement, elle est plus blessée que vexée. Ce qui la choque le plus, c’est pour Victoire. Elle est si maternelle qu’elle ne peut pas comprendre. Elle dit : « Je suis obligée d’admettre que cela existe, mais j’ai du mal à y croire ». Pourtant, elle a été la première à se réjouir et à mettre le doigt sur ce qu’on a éprouvé tous au fond de nous, en ce qui me concerne j’en suis certaine, et tel que je vois Alban avec Victoire depuis le début, ce doit être pareil. Au fond oui, on ne perdra pas Victoire. C’est peut-être Agathe qui va nous aider à voir le bon côté des choses.

 

Moi  :  —   (très vite) Tu ne me demandes pas des nouvelles de Rainer, Klara ?

Elle  :  —   Il est mort, non ?

Moi  :  —   (très vite) Oui, en juin l’an dernier... fusillé.

Elle  :  —   Par qui ?

Moi  :  —   Au maquis de Saint-Marc par la Gestapo... avec d’autres.

Elle  :  —   Oh très bien...

Nous n’osons plus rien dire. Elle finit sa cigarette, en allume une autre, on lui en prend aussi Alban et moi. On ne bouge plus sur nos chaises. On attend. Elle dit : « ?Je veux aller en Amérique... si ton frère avait été là, j’aurais demandé le divorce. Je serais partie quand même... seule.. .?».

Cela nous laisse sans voix. Les mots Amérique, divorce ont du mal à parvenir à ma conscience. Ils n’ont aucune réalité. Alban ne dit rien. Je balaye le cendrier avec ma cigarette, quoi dire... Le téléphone sonne. Alban va décrocher. Je sens une gêne, il se retourne. «?C’est pour toi Lika. Victoire veut te dire bonsoir.?» Victoire fait plein de bisous dans l’appareil, je ne peux pas parler, finalement je dis des petites choses un peu naturelles et je raccroche. En y repensant, je crois que ce moment a été le plus délicat.

Klara fume consciencieusement en sirotant son vin.

Moi  :  —   Et si Rainer était venu t’attendre au Lutétia ?

Elle  :  —   Je ne sais pas. Je crois que je savais.

Moi  :  —   Mais on ne sait jamais. Imagine Klara.

Elle  :  —   Je ne l’attendais pas. Je n’attendais pas qu’il m’attende... tel que je me souviens de lui, il a dû prendre des risques... ça, je crois que je l’ai toujours su... depuis qu’il est descendu dans le Sud pour trouver un passage... soi-disant...

Moi  :  —   Mais il a cherché ! Souviens-toi comme il a passé plusieurs fois la ligne à Châlon, rien que pour te rassurer, mais il n’a pas trouvé. Tu ne peux pas lui en vouloir Klara !

Elle  :  —   Ce que je sais, c’est qu’il a cherché l’héroïsme et qu’il l’a trouvé...

Moi  :  —   Tu es dure Klara.

Elle  :  —   Non. Chacun son destin. Je ne vais pas pleurer sur un héros... la grâce d’être tué... il a eu de bonnes raisons pour mourir... tout le monde n’a pas cette chance... 

 

 

 

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€ 9.90 € 5.90

Ce récit se présente sous la forme d’un journal, celui d’Angelika, l’amie et belle-sœur de Klara qui revient d’Auschwitz à Paris en 1945. Le journal s’organise autour de la parole de Klara qui, jour après jour, pendant un mois, dévoile ce qu’elle a vécu. Pas de lamentations, mais elle dit froidement, avec force et violence, sa stupeur et sa colère permanente, son incapacité à accepter les codes de la vie redevenue normale. 

Le Non de Klara a reçu la Prix Goncourt du premier roman en 2002, le Prix Emmanuel Roblès de la ville de Blois et, en 2004, le Grand Prix des Libraires.  Publié en allemand (Klara nein), Le Non de Klara a reçu le Geshwister-Scholl-Preis en 2004. Soazig Aaron a publié un second roman, La Sentinelle tranquille sous la lune en 2010 (Gallimard).