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Andrau Paule

Violence(s)

Octobre 2021

Au début, elles étaient trois, une trinité niée, une trinité sans autre lien que la souffrance et le lieu de souffrance où elles se trouvaient rassemblées, l’hôpital. Elles n’ont pas de nom : elles en ont si peu pour les autres, comment en auraient-elles un pour elles-mêmes ? Mises bout à bout, les bribes de leur destin se sont constituées en un continent sinistré : paroles de femmes jamais dites, bruits intérieurs aux femmes quand elles se taisent, quand elles deviennent invisibles aux autres, quand elles attendent. Car elles passent leur vie à attendre : leurs hommes, leurs enfants, leur vie même. Attendre. 

Et cette trinité, paradigme de la femme moderne, s’est étoffée : elle s’est trouvée des disciples, douze autres, celles niées, rabaissées, humiliées, frappées, violées, torturées, avant d’être tuées, juste parce qu’elles « sont femmes », celles dont on parle dans nos journaux et qu’on oublie mais dont le cri de mort retentit sans cesse tout au long de la journée des autres femmes. À travers ces paroles, ces cris interdits par toutes les conventions et les représentations de la femme qu’on diffuse au quotidien, elles témoignent de la violence qu’appelle partout cet «?état de femme?». Toutes, même celles dont on dit qu’elles « ont réussi », savent combien d’épreuves elles ont dû surmonter au nom du «?genre?» auquel elles appartiennent.

Ce roman qui les arrache à Twitter et Facebook les fait entrer dans la littérature pour ce qu’elles sont : des héroïnes du quotidien que sauvent leur courage et leur force de résilience, au bout du chemin. 

Agrégée de lettres classiques et professeur de chaire supérieure, Paule Andrau a longtemps enseigné la littérature. Elle n’a pas écrit jusqu’ici : un travail passionnant, une famille, une maison, et peut-être aussi des barrières longues à tomber. Quand c’est venu, c’est venu par lambeaux, des bribes de destins sur les tickets de caisse des grandes surfaces. Elle a orchestré cette “partition” en imaginant ces histoires morcelées et inaudibles. 

Extrait

Extrait 1

« Nous sommes le peuple de la fente, peuple rallié à elle : pas une démarcation entre le connu et l’obscur, pas une limite entre masculin et féminin, mais le passage vers la matrice universelle, la seule vérité pour tous. À la jointure du bassin et des jambes si clairement dessinés, la fente et son mystère sous le duvet pubien : aboutissement de la main qui caresse le torse, de la bouche qui s’attarde au creux des cuisses, point central autour duquel se construit et s’équilibre le corps féminin, port où viennent échouer tous les combats et où s’abolissent toutes les tensions, puits sans fond où vient se perdre le désir, où se conquiert le plaisir. Mystère rémanent au-delà de toute possession.

Toutes les femmes portent au creux d’elles-mêmes cet univers intérieur et sa complexe alchimie qui distille l’harmonie du couple, fond au creuset de chair l’enfant à venir. Et c’est ça notre force, notre irréductible pouvoir de vivre : la conscience de porter en nous les origines de tout. La conscience d’être la vie. » 

 

Extrait 2

« Mon employeur. J’avais quinze ans. Il m’avait presque achetée à mes parents. Il avait payé. Un soir il m’a dit « Viens là?», je n’ai pas compris. Il m’a couchée sous lui sur les ballots du hangar. J’ai cru à un jeu. Son grand corps foulait le mien. Je ne savais pas et puis d’un coup cette douleur. Cet arrachement. Il s’était enfoncé en moi, planté, d’un coup de rein brusque, son membre raide en moi comme un soc, comme une corne qui prend bas et remonte. Un éclair de douleur sèche, un ébranlement de tout le corps. Emmanché en moi, bien profond comme un poignard sur lequel on pèse jusqu’au cœur. J’ai crié tandis qu’un peu dressé au-dessus de moi, il triomphait d’un air faraud « Tu as su ce que c’est un homme, hein ? » Tu l’as senti passer l’homme, il a tracé son sillon, croché son plaisir en toi hein. Cet éclair rouge sous mes paupières, ce feu de la haine qui brûlait tout en moi, ça m’a réveillée toutes les nuits. Surtout quand mon ventre a poussé en avant, quand j’ai perdu l’enfant toute seule comme une bête, en silence, cramponnée des pieds et des mains aux caisses, arc-boutée contre les planches raboteuses du hangar. L’éclair rouge sous mes paupières chaque fois qu’il passait à ma portée. »

 

 

En savoir plus...

Voir l'entretien filmé de Paule Andrau réalisé par Delphine Chaume  en juin 2021. 

 - Vidéos you tube Paule Andrau, 26 juin 2021 :  

https://www.youtube.com/watch?v=1wbW5vj-vfk 

https://www.youtube.com/watch?v=TkmskUoJx8I   

https://www.youtube.com/watch?v=SD3Ai8AZJCk

 

Et les chroniques suivantes :

Françoise Urban-Menninger, a recueilli des propos de Paule Andrau dans Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiquesÉvénement poétique|Megalesia 2021, mis en ligne le 26 mai 2021.

Extrait :  "Mon roman Violence(s) n’est ni une analyse ni une étude - les travaux précités se suffisent à eux-mêmes. Il restitue les paroles des femmes qui ont trouvé un écho en moi, bien avant le phénomène déclenché par #Metoo. En ce sens, il est un cri jeté à la face des silences qui engloutissent et effacent tant de destins féminins ignorés, il est une protestation contre l’indifférence, le mépris, l’ignorance. Mon roman tresse, en toile de fond, les paroles de trois femmes, 1, 2, 3, qui n’ont pas le même âge, le même statut social, le même vécu et qui pourtant, illustrent, en écho, la réalité des femmes : menstruations, sexualité, maternité, charge mentale, ménopause, incommunicabilité, vieillesse, solitude et abandon.  On comprend au cours de leurs énoncés parcellaires que le roman juxtapose et construit – mais on sent bien qu’ils pourraient être simultanés comme chez Michel Vinaver – qu’elles sont dans un lieu commun, pour des raisons différentes, un de ces couloirs d’hôpital, pas vraiment salle d’attente, où se trouvent répertoriés souffrants et accompagnants dans un ordre seul connu des administratifs ou des urgenciers. Leur plongée dans ce qu’elles ont été est une tentative dérisoire contre la défection de tout l’être que produit toujours la proximité de la mort – de soi ou de l’autre. Dans leur dérive viennent s’inscrire les paroles d’autres femmes, tout aussi niées que les leurs, celles qu’on voit passer sur les brancards, objet d’interrogations ou de commentaires et qui se trouvent là aussi dans une nouvelle forme de l’antichambre de l’enfer.

Voir l'entretien entier sur le blog Le Pan poétique des muses Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia21/fum-livre-violences

 

Article de Noé Gaillard dans DailyPassions média Genève du 23 septembre 2021

"Vous avez constaté la différence entre le titre sur la couverture et celui que j’ai ‘tapé’. Vous noterez la couleur rouge en couverture. Attention ! Ce livre est, selon moi, un grand livre. Pour trois raisons ! La première tient à la qualité de son écriture, la seconde à son sujet et la troisième au savant mélange entre les deux premières. Pourquoi parler d’abord de l’écriture ? Parce que c’est une des clés pour entrer dans le livre, parce qu’elle impose un rythme à la lecture, parce qu’elle habille, camoufle ce que l’on ne voit pas tout de suite. En bon occidental, j’ai entendu de la fugue, du jazz, et du blues (je n’ai lu le mot ‘orchestration’ en quatrième de couverture que plus tard). Voir Jacques Loussier et ses versions de Bach. Le blues naissait du lourd sens de certaines phrases qui rythmaient certains passages. Considérant que cela est subjectif je ne vous donne pas d’exemples de pages ou de phrases, vous saurez trouver les vôtres. Pour ce qui est du sujet et malgré le titre je dirais que le sujet c’est : la femme..."

lire l'article https://www.daily-passions.com/violences

  

Gabrielle Napoli rend compte dans "En Attendant Nadeau" de "Violence(s)" de Paule Andrau : "Le récit coupe le souffle : l’autrice dénonce les violences faites aux femmes, endurées par des femmes, ou perpétrées par des femmes, sous des formes multiples. S’y déploie un éventail quasi infini de souffrances qui laisse se dessiner, progressivement, des portraits de femmes absolument bouleversants. On est parfois au bord de la suffocation en lisant Violence(s) : l’interdiction de dire subie pendant des années par ces femmes, mais aussi évidemment par des générations de femmes depuis des siècles, nous prend à la gorge encore maintenant. C’est dire s’il faut lire ce premier roman et entendre chaque monologue, s’il faut faire preuve de tendresse pour recueillir cette immense vague de désespoir, de chagrin et de colère, pour l’accueillir comme il se doit." lire l'article en entier sur https://www.en-attendant-nadeau.fr/.../voix-femmes-andrau/  Violence(s), de Paule Andrau : voix de femmes qui souffrent.

 

Patryck Froissart a consacré à Violence(s) de Paule Andrau qui sort en librairie ce 10 septembre 2021 une chronique très approfondie de l'ouvrage sur le Blog La Cause littéraire - du 26 août 2021: "Ce texte se présente et peut se lire comme un roman, mais c’est plus et c’est autre chose, c’est un cri, c’est une révolte, c’est une plainte, si on veut, c’est aussi, sur près de deux cents pages, le déroulement d’un long acte d’accusation d’une puissance, d’une évidence et d’une crudité quasi insoutenables, c’est un réquisitoire intégral, détaillé, fondé, factuel, c’est une succession de témoignages irréfutables, c’est un flux continu de dolence, de doléances, de souffrance, de dégoût, de soulèvement, de ressentiment, c’est un vomissement partiellement libératoire, c’est l’éruption volcanique brutale d’un défoulement irrépressible, l’explosion d’un magma trop longtemps contenu, retenu, comprimé dans les tréfonds les plus intimes de l’entraille à vif… C’est aussi un testament, en ce sens que la narratrice sait qu’elle n’en a plus pour très longtemps.

 « Ecrire, c’est hurler sans bruit », écrivit Duras. Le hurlement qui jaillit de ces Violence(s) résonnera violemment et durablement dans l’âme des lectrices et des lecteurs."

Lire la suite dans La Cause littéraire  http://www.lacauselitteraire.fr/vilences-paule-andrau-par-patryck-froissart

 

Dans "Pro/Prose Magazine", Karen Cayrat écrit à propos de Violence(s) : "S’inspirant des tragédiens grecs, en particulier de l’oeuvre d’Eschyle dont le théâtre tourné vers la monstration de la violence, a eu un retentissement significatif sur la manière dont elle aborde la création, Paule Andrau, construit un récit éclaté d’où se démarquent trois voix de femmes formant un fil d’Ariane sur lequel se greffe une pluralité d’autres voix enchâssées formant un choeur de témoins et martyres. Elles seront d’âges, de milieux différents. Aucune de ces femmes ne sera nommée. L’autrice prend ici le parti de fondre ses personnages dans un anonymat collectif pour mieux décrire la réalité et accentuer les résonances potentielles. Ce qui fonctionne et tient le lectorat en haleine jusqu’au bout." Lire l'article :  

Lire la suite dans Pro/P(r)ose Magazine https://proprosemagazine.wordpress.com/2021/09/26/vi%e2%99%80lences-paule-andrau/

 

Marc Verlynde chronique dans son blog littéraire "La Viduité" le livre de Paule Andrau : "Il me semble qu'un bon livre dépasse toujours son sujet, outrepasse la singularité de ses personnages, interroge la manière dont une individualité compose avec ses déterminismes. À ce titre, Violence(s) est un pari réussi. Comme son titre l'indique, il traite d'une violence tout à la fois singulière et plurielle, unique pour celle qui la subit mais collective tant ses prétendus motifs se ressemblent, tant malgré tout elle n'a qu'un nom : la domination masculine. La violence que met en lumière Paule Andrau n'est alors pas seulement celle des faits divers, des cas extrêmes. Beaucoup plus dérangeant, l'autrice met en lumière l'acceptation, souvent suicidaire ou destructrice, de cette violence pour le moins latente. Il s'agit alors de lui trouver un mode d'expression pour unir ces paroles singulières et pointer leur ressemblance sans néanmoins les confondre. J'aime assez que Violence(s) laisse une place d'opacité, de ressassement, dans la manière dont il agence les fragments de parole de trois femmes. Avec des lettres (X, Y, Z) combinées différemment, Paule Andrau alterne et mélange les paroles de ces femmes qui sont tour à tour monologue et observation de leur action. Ce permanent passage du je au elle illustre alors sa volonté d'écouter une difficile verbalisation."

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