Panier: 0

Trigano Patrice

L'Amour égorgé

En librairie le 10 septembre 2020

Un matin de juin 1914, à son réveil, René Crevel, âgé de quatorze ans découvre le corps pendu de son père à la poutre centrale du salon de l’appartement familial. Ce traumatisme alimentera un besoin de révolte qui ne quittera pas le poète qu’il devint. Tourmenté par sa bisexualité, tour à tour amoureux d’un peintre américain puis d’une jeune berlinoise adepte du triolisme, dégoûté par son corps atteint de tuberculose, René Crevel conjurait son mal de vivre en cherchant dans les abus de la drogue, du sexe, et des frivolités mondaines l’apaisement de ses maux. 

Jusqu’à son suicide en 1935, il rêva à une version régénérée du monde en devenant tour à tour membre du mouvement Dada, du groupe surréaliste et enfin du Parti communiste. En une épopée passionnante, d’une plume alerte, Patrice Trigano fait revivre dans ce roman les moments d’exaltation, les sentiments de craintes, d’angoisses, les douleurs morales et physiques de René Crevel. Il dresse une peinture des milieux intellectuels des années vingt et trente, alors que le fascisme était en embuscade, à travers des portraits saisissants des amis du poète : Gide, Nancy Cunard, Breton, Éluard, Aragon, Tzara, Cocteau, Dali, Giacometti.

Passionné par les grandes figures de la révolte, Patrice Trigano a précédemment publié : La Canne de saint Patrick (2010, Prix Drouot) et Le miroir à sons (2011) aux Éditions Léo Scheer et aux Éditions de La Différence : Une vie pour l’art (2006), À l’ombre des flammes. Dialogues sur la révolte (avec Alain Jouffroy, 2009), Rendez-vous à Zanzibar (correspondance avec Fernando Arrabal, 2010), L’Oreille de Lacan (2015). Suivent aux Éditions Maurice Nadeau, Artaud-Passion (2016) et au Mercure de France, Ubu-roi, merdre ! (2018). 

978-2-86231-292-7   240 pages 18 €.

 

 

Extrait

« Les deux amis étaient arrivés au fond du passage, à la croisée de deux allées. Là où se trouvait un couloir étroit et sombre, entre la façade du Théâtre moderne et le restaurant Aragoni – étrange coïncidence. Aragon l’y entraîna et lui montra une enseigne lumineuse sur laquelle figurait le mot « BAINS ». René ne pouvait imaginer que ce local pût servir à autre chose qu’à des actes d’hygiène. En léger retrait se trouvait un majestueux escalier en bois laqué blanc qui menait au sous-sol. En descendant les premières marches il eut le sentiment de s’enfoncer dans les mystères de l’établissement.

Un homme en blouse blanche les accueillit et, après qu’Aragon lui eût glissé quelques mots à l’oreille et remis un billet, il leur tendit à chacun une serviette et les conduisit vers des cabines individuelles dont les portes en enfilade occupaient le mur du fond de la salle de réception. Aragon, serviette pendue au bras, ouvrit une porte et fit un clin d’œil à René en ajoutant : 

—    À tout de suite.

René eut une hésitation. Mais non, tu ne vas pas donner dans la pudibonderie, se dit-il. Et puis, il ne pouvait négliger son attirance envers Louis qui, tout au long de cet après-midi, s’était accrue avec la force d’une aimantation. À son tour il s’engouffra dans l’une des cabines ; s’y trouvaient un portemanteau de style Art déco, un miroir, une boîte à effets et une banquette recouverte de moleskine, tout aussi blanche que les murs et le sol carrelés. Au fond de ce vestiaire individuel : une autre porte. Faisant fi de ses scrupules, René se déshabilla et la poussa. »

 

« Avec des mots d’une extrême précision et un ton neutre, Breton s’exprima comme aurait pu le faire un chirurgien à l’heure du compte rendu opératoire.

—   Vous n’avez, cher Crevel, manifesté aucun signe de résistance. Deux minutes trente-cinq après mes premières passes, votre buste a brutalement basculé sur la table. J’ai craint pour votre visage, qui fort heureusement n’a pas été blessé. Puis vous avez été pris de tremblements qui ont cessé lorsque vous vous êtes lancé dans un discours tout d’abord incompréhensible. Vos paroles, à jet continu, étaient entrecoupées de soubresauts et de râles, des contractions sont apparues sur votre visage tandis que vos mains se contorsionnaient. Tout cela était désolant et j’ai cru à l’échec de cette plongée dans votre inconscient. Je m’apprêtais à vous réveiller lorsque soudain... Vous avez poussé un grand soupir pour conter l’une des histoires les plus folles qu’il m’ait été donné d’entendre. »

En savoir plus...

Albert Bensoussan dans Europe de mars 2021 Extrait :

C’est en parfaite actualité, un siècle tout juste après l’intronisation pontificale d’André Breton, que Patrice Trigano, qui s’est beaucoup penché sur rebelles et turbulents du siècle — d’Artaud à Arrabal —-, nous offre une biographie attachante de ce poète terrassé — suicidé — à 35 ans par la tuberculose et le « dégoût » (son dernier mot), en usant pour ce faire des armes rutilantes du roman. Et que nul ne s’en offusque : la biographie est un genre feux si Ton reconnaît la patine fictionnelle qui toujours la recouvre pour mieux la faire briller, aussi l’auteur avoue-t-il avoir « sacrifié l’exactitude sur l’autel de la vérité ». 

Patryck Froissart dans La Cause littéraire (21 septembre 2020)

Certaines vies sont des romans qu’aucun écrivain n’aurait pu inventer, ou n’aurait osé mettre en œuvre. Patrice Trigano s’est intéressé à celle, passionnante, passionnée, sombre en de multiples parts, lumineuses par nombre d’autres, de René Crevel. Qu’on ne sache rien de René Crevel, qu’on n’ait jamais rien lu de lui n’est pas rédhibitoire : on se le campera en ce récit tel un personnage romanesque attachant au destin singulier. (...) Ainsi s’inscrit dans le récit la réalité, tout au moins celle qui est donnée comme telle par l’auteur, des faits et gestes, des propos, des références à l’œuvre littéraire en ébauche, en écriture, ou définitivement publiée, des caractères, des inclinations sexuelles, des inter-relations, des mondanités, des manies, des amours, des querelles, des excès, des problèmes de santé, des petits et grands malheurs, des faiblesses, des mesquineries, des bassesses intimes et occultées autant que des moments de grandeur publique, des traits d’éclat autant que des taches de noirceur de tel ou tel de ces illustres créateurs, tout au long cours tumultueux de la mouvance dadaïste et surréaliste marquée par l’alternance d’attraction, d’adhésion, d’engagement, de reniement et d’éloignement que ces personnages-personnalités ont exprimée collectivement et individuellement à l’endroit du communisme, du soviétisme, voire du stalinisme, avec pour corollaire le combat, celui-ci sans réserve, contre le fascisme et le nazisme.

Mais c’est d’abord l’histoire poignante de René, qui portera toute sa vie le traumatisme de la découverte, à l’âge de quatorze ans, du corps de son père pendu, et qui est durant toute son enfance maltraité, humilié, battu, psychologiquement démoli par une mère à double visage dont il essaiera toujours, mais en vain, de rechercher l’origine de la haine qu’elle lui porte. (...) Pris dans le manège extraordinaire de ce kaléidoscope socio-artistique sur lequel tente de régner de façon tyrannique André Breton, le « héros » de notre roman y apparaît tantôt comme un maillon faible, tantôt comme un élément fort faisant lien entre les divers protagonistes qui s’échangent ou se volent leurs partenaires amoureux, tant féminins que masculins, dans un quadrille en perpétuel mouvement marqué par la fête permanente, l’alcool, les stupéfiants, l’amour libre, l’homosexualité et la bisexualité. 

Noé Gaillard dans Daily passions ! (29 octobre 2020)

L’individu en couverture n’est autre que le personnage principal de cette biographie romancée : René Crevel. Et au cas où vous ne le sauriez pas, c’est une des figures importantes du surréalisme. Ce mouvement littéraire de l’après première guerre mondiale dont on célèbre le centenaire dans ce qu’il reste d’année 2020. Il aurait été surprenant que les éditions Nadeau ne participent pas à leur manière à cette célébration, Maurice Nadeau,leur fondateur, étant l’auteur d’une remarquable  Histoire du Surréalisme . Le livre se présente comme un roman qui raconte la vie de Crevel, c’est à mon avis un choix des plus judicieux qui a le mérite d’autoriser les commentaires intégrés et le choix de ce qui est raconté. Et puis Crevel est un « personnage » fascinant. Imaginez une mère qui réveille et traîne son fils de quatorze ans dans le grand salon familial pour lui montrer le corps de son père pendu à une poutre, et qui insulte le mort. Imaginez un jeune adolescent attiré aussi bien par les filles que par les garçons et que l’on découvrira tuberculeux comme son frère. Imaginez le même à peine un peu plus vieux séduit par Tristan Tzara et son mouvement Dada mais trouvera un père de substitution en la personne de l’intransigeant André Breton. Et, pour fuir ses angoisses, Crevel ajoute la touche drogue. Enfin lorsque les Surréalistes, pour activer leur révolution, adhéreront au Parti Communiste Français et y être fort mal considérés, Crevel fera tout son possible pour réconcilier les deux groupes. Passionnant non ? Ajoutez quelques noms, Eluard, Aragon, Desnos, que l’on sait hommes et poètes… et une belle écriture, au sens noble, c’est-à-dire stylée en finesse. Et vous aurez du mal à lâcher le roman…

Retour

€ 18.00 € 12.99