Panier: 0

Coyaud, Maurice

Sous la banquise. Triches de vent, tranches de vie.

Un morse arctique perd le nord. Il atteint les côtes de la Manche, passe devant Dieppe, remonte la Seine, visite Paris, emprunte divers cours d'eau, passe de la Corrèze à la Dordogne, puis à l'Océan. Ayant traversé les Colonnes d'Hercule, il se retrouve sur les côtes dalmates, puis, au large des zones plates du Sri Langka, où il attrape un coup de chaud. Un tsunami lui flanque la frousse. Il regagne daredare les côtes du " vert pays ", le Groënland. Ces notes de voyage sont entrelacées avec les tranches de la vie d'un banlieusard pépère et malicieux, confronté avec la bestialité primitive et glaciale. 159 p. (2006) ISBN 9782862311937

Maurice Coyaud (1934 -2015) est un linguiste français, spécialiste des langues et des cultures de l'Asie de l'Est. Il est spécialiste du russe, du mandarin, du mongol, du birman, du tagalog, du coréen et du japonais. Maurice Coyaud a publié 73 ouvrages et pas moins de 119 publications. Il a été directeur de recherche au CNRS depuis 1973, et membre du laboratoire LACITO de 1976 jusqu'à sa retraite en 1999. Il a publié de nombreux essais, romans, anthologies, traductions. Il a été chargé d'inspection générale du chinois de 1979 à 1998.
Il a notamment enseigné quatre ans à l'école Polytechnique où il a créé l'enseignement de japonais, à l'INALCO (professeur de chinois en 1979-1980) aux universités Paris-III, Paris-V, Paris-VII, Paris-X (professeur de linguistique) et à l'EHESS.


Extrait

Avant-propos

Raconte pas ta vie ! tais-toi ! Qu’est-ce qu’on en a à foutre, de tes tranches-triches, de ta vie en rondelles ? N’oublie jamais qu’on s’en tamponne ! comme d’aucuns disent. Alors ! tu insistes ?

Compte-rendus quelque peu personnels, relatant avec une relative fidélité, les faits plus ou moins marquants, d’une vie quotidienne. Tranches de vie, mais aussi triches de vent, puisque tout cela au fond, ce n’est que du vent, et encore et toujours, le jouet des vertiges de l’imagination. Pourtant, cette vie est bel et bien quotidienne. L’auteur inscrit scrupuleusement le nombre de brasses qu’il nage dans la Manche ou dans un lac limousin, le nombre de phoques harponnés sur les côtes du Groenland. Il mentionne les films vus ou les livres lus. Vie banale, et rêveries gorgées de vies animales et végétales, ce qui est sans doute moins banal. Celui qui écrit “je” ici, est un être perméable aux vies des êtres dits inférieurs, qui pullulent autour de nous, au fond des mers (pagures, cachalots, calmars) et des forêts de kelp.

Les personnages intervenant dans ces Essais ne sont pas purement fictifs. Toute ressemblance avec des personnes ayant existé, ou existant, ou ayant cru exister, ne serait pas forcément l'effet d'une coïncidence fortuite.

N’empêche ! tais-toi ! étouffe-toi ! Je t’enfoncerai dans la gorge une poire d’angoisse ! et tire ta langue un peu ! Je te poignarderai la langue dans le bois de ta table de cuisine ! Tire-la un peu maintenant ! On va voir si tu pourras encore nous faire chier avec tes borborygmes !

Sous la banquise, j’erre parmi les phoques et les morses redoutables. Je pointe mon museau à la surface d’un trou dans la glace. Un Inuk (eskimo, comme on disait dans le temps) m’enfonce son harpon en pleine gueule. Voilà les vrais “hommes”, Inuit ! Mon père a voulu me noyer. Il m’a jeté à l’eau, a coupé mes phalanges les unes après les autres. Elles sont devenues baleines, phoques, et moi, Sedna, je suis devenue la reine des mers.

 

 

2004 DIEPPE

13 Mai. Mer calme. Levé comme de coutume à cinq heures. Suite de rêves assez proches du genre cauchemar. Rédigé dans la douleur, un faire-part virtuel. Allumé le gaz sous une casserole d’eau..Préparé un café soluble, coupé une tranche de pain, savouré la délicieuse confiture de mûres que Françoise cueillit l’an dernier et épépina.

L’aube point sur la mer. Les lumières des quatre bateaux de pêche se perdent vers la droite. Les pêcheurs rentrent au port.

Le 14. Mer calme, temps clair. Entendu une leçon sur le baroque et l’éphémère. Hier, visite à Pourville. Dégusté des huîtres. Dans la soirée, au casino, danses et chants de lamas tibétains. Coiffés de crêtes jaunes, ils tapent fortement le sol, tournent sur un seul pied. C’est bien monotone. Le son de leurs cornes, ressemble à celui des cornes des Alpes.

Pris un verre de bière au Café des tribunaux, avec le couple D. Promenade aux Moutiers avec Françoise. Le quart des rhododendrons sont en fleur. Beaux Gunnera... Superbes plantes des marais, Lysichium kamtchatkaense, que les Japonais nomment bashô “bananiers” à qui ils ressemblent par la largeur de leurs feuilles.

Tout parait normal. Mais attendons !

Vu le film Les choristes, que j’ai détesté. N’était la présence de Françoise, que j’emmenais, je serais sorti au bout d’un quart d’heure. Jugnot est pourtant un excellent acteur.

L’ambiance de l’école, avec les cancres malfaisants, cruels ; l’atmosphère pesante et chahuteuse du dortoir, avec le pion qui dort dans sa cabine au bout de la salle, son ampoule allumée derrière la vitre en verre dépoli, cauchemar ! j’ai connu cela voici juste cinquante ans ! Je m’étais imposé, à tort, cette année de pensionnat. Année ratée.

Mer d’huile. Le temps commence à se réchauffer.

Pressentiment, néanmoins ! Un vautour, un oiseau ? Un fulmar me saisit dans ses serres, et m’emporte dans les airs. Serais-je Ganymède ? Ce bébé joufflu et laid que peignit Rembrandt... Ou l’être ahuri que fait chanter François Schubert ?

Le 15. 10 heures. Fin de la saison de pêche aux coquilles Saint-Jacques. Vu trois plongeons. Ils peuvent rester sous l’eau cinquante secondes.

Je suis Sedna, exilée dans un îlot isolé au milieu d’un lac. J’épousai un fulmar.

Mon père vint en barque magique me rendre visite à moi, Sedna. Je l’accueillis avec joie et lui demandai de me ramener chez lui. Entendant le récit des outrages infligés à sa fille, le père résolut de se venger. Il tua l’époux fulmar, installa Sedna dans son embarcation. Ils quittèrent vite le pays qui avait été si néfaste à sa fille. Quand les autres fulmars rentrèrent au domicile, ils trouvèrent leur compagnon décédé, le père et la fille enfuis. Ils s’envolèrent en quête des fugitifs. Extrêmement chagrinés de la mort de leur compagnon et ami fulmar, ils pleuraient sans cesse, et continuent d’ailleurs à exprimer ainsi leur deuil de nos jours encore.

Ayant volé une courte distance, ils distinguèrent la barque des fugitifs, et provoquèrent une tempête. La mer se gonfla en énormes houles, menaçant de naufrage le couple de fuyards. Dans ce péril mortel, le père résolut de m’offrir, moi sa fille Sedna aux oiseaux, et la jeta (me jeta) pardessus bord.

Elle s’accrocha au bastingage avec l’énergie du désespoir. Son cruel papa prit alors son couteau, trancha les dernières phalanges de ses doigts. Tombant à l’eau, ces bouts de doigts devinrent des baleines.

Sedna s’accrocha encore plus fort au bastingage. Son papa lui coupa, avec sa lame acérée, les secondes phalanges. Elles devinrent les phoques Pagomys foetidus.

Sedna s’accrocha encore plus plus fort au bastingage. Le père coupa cette fois les doigts jusqu’à la racine : les moignons de doigts devinrent des phoques terrestres barbus de l’espèce Phoca barbota.

Entretemps, la tempête s’était calmée, car les fulmars pensaient que (j’étais) Sedna était morte noyée. Son père lui permit alors de remonter dans sa pirogue. Mais depuis lors, elle nourrit une haine féroce à l’égard de son papa et jura de se venger.

Une fois qu’ils eurent abordé au rivage, j’ appelai mes chiens. Je leur fis dévorer les pieds et les mains de mon père pendant qu’il dormait. Alors, ce père rendu furieux, se maudit, lui-même, maudit sa fille et les chiens. Ils vivent depuis lors dans le pays d’Adlivun, dont Sedna est la déesse patronne, reine des mers...

VÉLOCIPÉDIES

Hanoï, été 1945. Je tourne dans la cour sur le vélo de maman. Pour la première fois, j’essaie un vélo de grande personne. Je dois pédaler en danseuse, sans pouvoir m’asseoir sur la selle. Mes pieds n’atteindraient pas les pédales. Je tourne autour du massif central, de forme ovale, où grand’mère faisait pousser ses plus belles fleurs. Cinq heures. La chaleur atteint son comble. Des bouffées d’air brûlant balayent la cour. Dans quelques minutes, la tempête de mousson va faire rage; ça y est ! Voici quelques gouttes. Et brutalement l’averse, les rugissements de folles bourrasques. Il pleut à seaux, dogs and cats.

Sur mon petit vélo d’enfant, je reviens seul de l’hôpital Lanessan, où papa gît, terrassé par des amibes. Il ne pèse plus que quarante kilogrammes. Du bout du boulevard Gambetta (qui a bien sûr changé de nom, depuis) où se trouve l’hôpital, j’appuie sur les pédales du petit véhicule. Au carrefour du boulevard Carreau, ma chaîne tombe alors que je suis en pleine vitesse, et sans frein, au milieu de la circulation, heureusement éparse... J’ai cru mourir écrasé. Je me retrouve miraculeusement au bord du trottoir, non loin de notre demeure. Je reviens le cœur battant.

La situation n’est pas fameuse. Famine ! inondations. Des foules de paysans rappliquent en ville, croyant y trouver à manger. Ils y meurent sous nos yeux. Depuis la reddition japonaise, l’armée chinoise envahit le Tonkin, les Viet Minh prennent le pouvoir, et “liquident” nos voisins avocats, médecins “colonialistes”. On met du datura stramonium dans la soupe des patrons, on les attend au seuil de leur maison, quand ils reviennent du travail, et on les abat d’un coup de révolver.

Saint Germain, été 1950. Je circule le dimanche. Avec André Boudalier, je vais à Neauphle à travers la campagne jaunie de champs de blés mûrs. Sur la route de quarante sous, nous rencontrons l’acteur Belmondo revenant de Deauville en voiture américaine décapotable. Une bouffée de vie de riches !

Printemps 1975. Avec mon gamin, nous allons à Ermenonville, Châalis, la mer de sable. Il fait un tour à dos de chameau.. Je lui montre comment faire une parabole, Y= ax2 . Blois : nous roulons tous deux vers Amboise, dormons à Tours. Visitons Azay le rideau, dormons aux Rosiers.

Belek, été 1999. nous roulons vers Aspendos. Ma compagne souffre le martyre sous ce soleil implacable et sur cette selle trop mince. Dégustons des gôzleme, crêpes aux oignons, sous une paillote.

CONTRE LES ÉCOLOGISTES PROTECTEURS DES ANIMAUX NUISIBLES

Les loups, lynx, ours, réintroduits dans les régions montagneuses de France, Jura, Pyrénées, Alpes, dévorent allègrement le bétail, détruisent les troupeaux de moutons. Va-t-on crier victoire ? En Inde, les tigres dévorent les troupeaux élevés péniblement. En Afrique, les éléphants protégés dévorent les forêts. Les babouins protégés dévorent le tiers de la production locale de maïs du Kenya. On a installé des barrières de fil de fer pour les tenir à l’écart. Ils creusent le sol et passent sous les barrières. Ils vont jusque dans les cases des malheureux villageois dévorer leur pitance. On en attire trois mille dans des cages, pour les libérer plus loin. Dépense inutile. Ils reviennent.

PLAISIR

Un certain samedi de juin 2004, je ressentis un rare plaisir : j’appris que l’équipe de France de foutebolle avait été battue à Lisboa. Un bon coup de martinet sur les cuisses des gens les plus chauvins du monde. Que plus tard les Grecs aient gagné cette coupe d’Europe me laisse complètement indifférent. Toutes ces foules fanatisées devraient être éliminées dans un cataclysme collectif et sélectif. De même, voici soixante millions d’années, les dinosaures disparurent mystérieusement, laissant la Terre aux autres bestioles, sans doute moins terribles, et s’équilibrant mutuellement.

Paris. Le 6 juillet, je vais acheter la partition des Mazurka de Chopin adaptées pour le chant par Pauline Viardot. Etape au parc Monceau. Assis sur un banc, je regarde, de préférence aux vieilles femmes, les jeunes mamans s’occuper de leurs bambins. J’avais entendu samedi 1er juillet ces Mazurka chantées à Bagatelle par l’excellente et ravissante Olga Pasiecznik.

VENDÉE

Le 10 juillet, je me trouve aux Rabouillères, hameau du village de Longeville, en Vendée. J’assiste au quatrième mariage d’Alain. Quatre jambons tournent embrochés depuis sept heures du matin. Vers les une heure, les voilà cuits, et les cinquante invités assis sur des bancs devant des tréteaux installés dans le verger, vont pouvoir commencer le repas de noces. La région, fort plate, est couverte de champs de maïs, tournesol et blé. Je visite un dolmen : une fort grande pierre plate se trouve posée sur les pointes de trois menhirs. Devant la maison d’Alain et Diana, un ancien marécage transformé en prairies accueille des troupeaux de vaches et veaux de race charolaise. La fête bat son plein quand des Uruguayiennes, Andalouses et Argentines se mettent à danser des danses de leur pays.

PYRÉNÉES

Je pars pour les Pyrénées. Je m’amuse à regarder vivre bêtes et végétaux.

L’araignée dolomède, bien reconnaissable à ses bandes latérales jaunes, chasse sous l’eau larves d’insectes et têtards.

L’aigle pygargue pêche entre les nénuphars. Les sphaignes abondent sur l’étendue de l’étang noir.

Une cistude se chauffe au soleil. La drosera, rosée solaire, a des poils terminés par des gouttes de suc. Les bestioles viennent s’y coller. La drosera les digère. Les osmondes royales foisonnent. Je suis en extase devant une Isabelle des Pyrénées, Graellsia isabellae, papillon nocturne de dix centimètres d’envergure. Elle a quatre yeux bordés de jaune sur les ailes bleu-vert, rayées de rayons rouges.

L’oiseau élanion blanc, sorte de petit faucon, perche sur un moignon de branche La mâcre, ou châtaigne d’eau, forme des rosettes avec ses feuilles en losange Les mésanges à longue queue se ruent sur les premiers bourgeons.

INDE

15 juillet. Jainandra Kumar. Un amour sans mesure, 1937. Traductrice : Annie Montaut, Titre original : Tyag patr, “ La lettre de démission”.

Le narrateur aimait sa tante, plus âgée que lui de cinq ans seulement. Elle est détruite par la société, qui lui impose un mari. Un couple impossible. L’héroïne a décidé de renoncer. Les quatre buts de l’être humain, purusartha, sont le kama “désir”, artha “prospérité”, dharma “ordre cosmique”, et moksa “libération”. Le sanyas “renoncement” permet d’accéder à l’illumination (?).

Alka Saraogi : Kali-katha, traduit du hindi par Annie Montaut. ennuyeuse histoire d’une famille de Calcutta. Je n’aime pas les histoires de famille, ni peut-être même les familles, sans avoir pour cela eu besoin d’écouter les conseils de Nathanaël Gide. Nul besoin d’un prédicateur parpaillot pour m’inculquer le goût des nourritures terrestres.

Un livre traduit du thaï. Plusieurs vies. des nouvelles de Kukrit Pramoj. Plusieurs vies diverses se sont terminées en même temps, par noyade, au cours du naufrage d’un bateau-bus sur la rivière. L’auteur décrit rapidement ces vies avec tendresse, y compris la vie d’un bandit, d’un militaire grossier et égoïste, d’une prostituée.

DIEPPE

Samedi 18 juillet. Assisté sur la grande pelouse, au concours hippique. En moins d’une minute, un cheval saute par dessus une douzaine d’obstacles. Parfois, l’une de ces bêtes, frémissante, s’arrête net devant la barrière. Le cavalier (en fait, le plus souvent une jeune fille) est obligé de le faire recommencer une ou deux fois, avant que le cheval daigne sauter.

Pris un premier bain hier dans la piscine chauffée, au pied du château. Le ciel s’est enfin découvert quelque peu dans l’après-midi. Vu mardi et mercredi deux films.

Prête à tout raconte la carrière d’une jeune et belle présentatrice de bulletin météorologique dans une chaîne de télévision locale d’un état américain. Son mari fait obstacle à sa carrière. Elle le fait tuer par un débile mental, à qui elle se prostitue en guise de salaire.

Just a kiss, film anglo-pakistanais de Ken Loach, se passe à Glasgow. Il montre la puissance des liens familiaux chez les Paki-foreigners. Le jeune premier, Pakistanais, est joué par un beau gosse, Atta Yakub. La jeune maîtresse de musique, blonde Irlandaise, est jouée par Eva Birthistle.

Dimanche 18 juillet Hier, déjeuner d’huîtres à Pourville. Retour par la gare de Dieppe. Je prends mon billet pour le retour à Paris demain. Je rentre à pied en passant près de l’église Saint Jacques. Un soldeur a là son camion. Je lui achète pour cinq euros chaque, deux livres de René de Ceccatty. Rentré au Castel. Reposé. Vers trois heures, nous allons voir le concours hippique, tout près, sur la pelouse. Vers quatre heures, je prends un bain. Je  nage non loin de la grève. Je lutte contre le courant. Lassé de faire du sur place, je nage vers la plage. Et alors, Françoise qui me surveillait depuis les galets, me dit que j’ai eu un ictus amnésique, produit par un dysfonctionnement de l’hippocampe, petit organe campé tout au fond du cerveau... Effectivement, je ne me souviens ni d’avoir regagné la plage, ni de m’être changé : ce n’est pas si facile d’ôter son maillot, et de remettre des vêtements sous le regard des voisins (je suppose que Françoise m’a aidé), ni comment je suis rentré au Castel. Finalement, vers huit heures, j’ai récupéré ma mémoire et nous sommes allés prendre un verre de vin blanc au bistrot installé tout au bout de la plage, au pied du château.

PARIS

21 juillet 2004. Ce matin à dix heures, j’étais à l’hôpital des Quinze Vingts, drôle de nom, pour y subir un scanner cérébral. Un technicien m’a enfoncé dans un gros tuyau, m’a dit de fermer les yeux, et m’a scruté l’intérieur du cerveau. J’en suis ressorti vivant, c’est déjà ça. J’ai marché jusqu’au boulevard Beaumarchais, j’ai acheté les valses d’amour Liebeslieder de Brahms, pour quatre mains et chant; puis j’ai pris la rue du Pas de la Mule, longé la place des Vosges, pris la rue des Francs Bourgeois, longé l’hôtel Carnavalet, arpenté la rue des Hospitalières Saint Gervais, effleuré la rue des Rosiers qui ne sentait pas la rose, passé devant la librairie kasher, toujours coquette, et enfin, me suis arrêté rue du roi de Sicile. Dans la librairie italienne, j’ai examiné les livres disposés sur les tables. J’ai acheté trois petits livres de Camilleri, deux de Niccolo Ammaniti et une édition de poche des Sorelle Materassi. J’avais lu Les sœurs matelas (1934) du délicieux Aldo Palazzeschi à l’époque où je suivais les cours de Petrolacci au lycée Henri IV. Du même auteur, j’ai lu et relu jadis l’adorable histoire du vieux garçon qui adopte quatre frères, Ifratelli Cuccoli.

Après cette équipée dans le Marais, je suis allé dans l’île de la Cité. Notre-Dame de Fatma était couronnée de deux immenses croissants de lune.

Regardant au loin, je vis sur Montmartre le Sacré-Cœur d’Ali peint en vert, et surmonté d’un énorme croissant d’or. Une fois rentré dans mon atroce quartier, j’ai été déjeuner au Monte-Carlo, je suis monté chez moi, j’ai parlé avec Piedade qui vaquait aux soins du ménage. Piedade une fois partie, j’ai dormi une heure, épuisé.

Cauchemar, je vois un chasseur terrible, être à six pattes, une main humaine, une nageoire de phoque, une patte palmée d’oie sauvage, des serres d’aigle...

 

 

Retour

€ 15.00