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Gloaguen, Alexis

Écrits de nature, entre Écosse et Bretagne

Le Pays voilé, qui occupe la majeure partie de ce deuxième volume des Écrits de nature d’Alexis Gloaguen, est le récit d’un an de vie dans le nord de l’Écosse. Se déroulant au fil des saisons, ce livre fut écrit, comme toujours chez l’auteur, sur le vif. Il transporte le lecteur au long de paysages immenses et fait sentir leur diversité changeante, non sans accorder une attention toute spéciale aux animaux qui les peuplent. On passe des forêts aux estuaires, de la vie quotidienne des Highlands à des bivouacs de montagne, y compris au coeur de l’hiver. L’écriture à la fois hyperéaliste et onirique de l’auteur vise à restituer au plus près la variété de ses expériences. Elle indique aussi un mode de vie. “Certes on ne peut se satisfaire d’extases temporaires, de l’immersion passagère dans un cri d’oiseau marin ou dans un beau simulacre de brume. Pourtant, ces réalités restituent le rêve. Elles s’en approchent et nous imposent leurs urgences”. Ce “manuscrit d’Écosse” est une méditation constante sur l’homme dans la nature, inséparable de la jubilation poétique.

Ce texte est complété de deux autres ensembles, écrits dans la campagne bretonne, alors que l’auteur habitait d’anciennes fermes dont il décrit les hôtes - sauvages ou domestiques : Mes Dieux Lares et Les Plumes de la terre.

Cette fois encore, Jean-Pierre Delapré illustre ces pages avec une finesse de trait exceptionnelle, son approche étant tantôt d’une précision ultime, tantôt presque abstraite, comme le sont les silhouettes et les ombres d’êtres qui se dérobent. Ses photos, ses aquarelles, ses pastels et ses dessins sont réalisés en pleine nature, dans les mêmes conditions que les textes.

Alexis Gloaguen est un écrivain et philosophe français né en 1950 en Bretagne. Il a passé son enfance en Nouvelle Calédonie avant d’enseigner la philosophie en pays breton jusqu’en 1992, année de son départ à Saint-Pierre et Miquelon où il va diriger le nouvel institut de langue française tourné vers le continent américain. De retour 18 ans plus tard à Silfiac en pays Pontivyen, il se consacre désormais à l’écriture. Après Les Veuves de verre (2010), La Chambre de veille (2012) et Digues de ciel (2014) tous publiés aux Éditions Maurice Nadeau, les recueils des Écrits de nature rassembleront en trois volumes des textes composés depuis 1978 à nos jours.

Illustration de couverture : Jean-Pierre Delapré, Couple de Pluviers guignards, survolant les crêtes de Ben Wyvis en Écosse.

Extrait

Préface de l’auteur (extrait)

Le Pays voilé – titre qui occupe la majorité de ce volume – est sans doute celui de mes livres le plus proche du récit de voyage, même si chaque chapitre, globalement thématique, s’oriente vers des aspects bien précis qui sont traités, non sous forme de narration, mais sous la forme d’une succession d’images. Celles-ci, par simple juxtaposition impressionniste, devaient servir, non à épuiser tous les aspects de la vie écossaise, mais à cerner l’expérience partielle que j’en ai eue, celle des grands espaces et des paysages.

Mais ce qui me guida surtout lors de cette année sabbatique – durant laquelle je suivis ma compagne qui avait obtenu un poste de lectrice dans trois collèges du comté de Ross –, ce fut la poursuite du plaisir d’écrire en extérieur et dans la nature, par tous les temps. Dehors toujours, ou presque : on location, disent les cinéastes. Les lieux, les milieux sont mentionnés, l’abri de la maison de Swordale n’est pas négligé. On sait que la littérature moderne fait feu de tout bois et inclut les circonstances de l’écriture. C’est le cas ici où sont constamment dressés les décors et les modalités de l’apparition des mots. Les seules lois de ces vagabondages sur la feuille sont l’étude et l’euphorie. Délectation de la découverte, envahissement du réel, de l’imprévu, même si celui-ci vient nécessairement comme réponse à une question adressée au monde. Ce filet d’attentions, d’observations retenues par la trame des noms, j’avais choisi de le tendre pendant un an pour rendre compte d’une expérience dont je savais qu’elle serait, dans ma vie, prépondérante. Aussi avais-je choisi le plan simple de m’abandonner au curseur du temps qui passe et au défilement des saisons. À chacune correspondait son lot d’événements ténus, en général retirés en faisceaux d’un même type de lieu, emblématique de ce qui pouvait advenir à un moment donné : les migrations d’oiseaux, les premières neiges, la stase de l’hiver, la surgie de moins en moins résistible du printemps. (...)

Je ne saurais dire à ce sujet à quel point les illustrations de Jean-Pierre Delapré, plus que jamais, me paraissent convenir à ces textes par un cousinage et une adéquation nés d’une même démarche. Leur précision aiguë ne se gagne que par des milliers d’heures sur le terrain à capter la forme et les attitudes des oiseaux. Il n’est jamais question ici de les reconstruire laborieusement. Elles adviennent comme une Gestalt unique, aisément et dans l’état de grâce, dans la force de l’évidence. De même, leur environnement immédiat les prolonge en harmonie. Il en va de même de ses photographies d’araignées qui nous font prendre pied dans un univers presque inimaginable. Qu’il en soit ici remercié.

 

Note de l’auteur pour Mes Dieux Lares

Ces textes immobiles furent écrits dans une sorte de stupeur à notre retour d’Écosse en 1982 et 1983. Il me fallut plus d’un an pour me remettre de cette « fièvre du Nord » que les mineurs canadiens ayant vécu en région éloignée (îles de l’Arctique, Labrador, Territoires du Nord-Ouest) connaissent bien, après être rentrés à Sherbrooke ou à Montréal. On réalise rétrospectivement que certains isolements ne sont pas solitude et que, pour arriver à la plénitude, il faut prendre le risque de l’absence. Du fond de l’Écosse, avec l’impression d’être « au bord du monde », je dialoguais avec une culture dans laquelle, au retour, je me trouvai plongé et comme immergé. Avec l’impression qu’on ne peut respirer n’importe où comme on ne peut écrire sur n’importe quoi.

Nous nous étions installés non loin de Vannes, sur la petite commune de Saint-Nolff, dans une très ancienne ferme dont l’adorable propriétaire nous passait tout et entretenait notre jardin lorsqu’un surcroît de travail, au printemps, m’empêchait d’avoir les gestes nécessaires aux récoltes. C’est dans cette « maison aux glycines » que naquit notre second fils et que je me rabattis sur les petits hôtes – araignées, fourmis, vrillettes, larves de moustiques et discrets passereaux — qui partageaient avec nous ces horizons délimités par les angles d’une cour ensoleillée.

 

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