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Dufourquet, Christian

Franz et Mania

Gare de Prague, au début du siècle dernier. Lui est Franz, rédacteur titulaire aux Assurances Ouvrières contre les accidents pour le royaume de Bohême. Elle, Mania, actrice du théâtre yiddish... Tous deux hantés de vision et de rêves qui les traversent, les déplacent d'un lieu à un autre, d'un temps à l'autre, entraînés l'un par l'autre dans un monde, qui est aussi le nôtre, instable, bouleversant, destructible. 109 p. (2005)

Extrait

A nouveau elle respirait, s’élevant insensiblement à travers un afflux d’eaux mortes, de bois pourrissants. Les bras levés elle montait, cela cédait par à-coups, s’effritait gris sur noir, s’affaissait comme si elle montait et descendait à la fois cadavre et figure de bois peint à la proue d’un vieux navire qui sombrait avec toutes ses voiles enroulées autour d’elle, la soutenant et l’exposant à la cuisson d’un soleil caché qui déversait sur elle le brouillard de son rayonnement... Soumise à une volonté étendue au-dessus de ses forces, et qui tâtonne, trébuche et tâtonne, s’abaisse en tassant autour d’un corps une lumière qu’elle a arrachée au ciel en passant... Mais ce corps était le sien, pensa-t-elle en serrant plus fort ses dents, plantées dans un bout de bois tournoyant sur lui-même, lui échappant. Forcée d’ouvrir la bouche puis les yeux, dérivant à l’intérieur de cette présence diffuse, en suspens, qui la frôlait, la soutenait, jetant sur elle de froides pelletées de lumière... Enfin, elle le remarqua, assis dans le noir. Un jeune homme aux yeux tristes, qui la regardait. Ne la regardait pas... Il regardait au delà. Non, en deçà, pensa-t-elle... Tout entier absorbé dans ce regard qui la maintenait en l’air, l’empêchait de retomber... Un jeune homme timide, se dit-elle. Qui regardait ses bras ronds, sa gorge blanche, son visage qui dominait un espace tout encrassé de têtes immobiles. Cela aurait pu être le ciel, songea- t-elle en contemplant ce tas de crânes encastré, comme un amas d’étoiles mortes, dans un coin perdu de l’univers... C’est cela, la véritable liberté, se dit-elle. Ne rien comprendre et respirer en deçà. Ne plus rien ressentir, sinon le mouvement d’un nuage qui la traverse... Je suis Mania, se souvint-elle. Mania Tchissik, murmura-t-elle. 

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